Versions, Marketing et stabilité des logiciels

Versions, marketing et stabilité des logiciels

A chaque fois qu'un logiciel est distribué, que ce soit par le canal traditionnel des revendeurs ou par Internet, il est affublé d'un numéro de version. Ce numéro, plus ou moins complexe, n'est pas toujours bien utilisé et encore moins bien compris. Pourtant l'impact de ce numéro sur l'utilisateur final peut être important. Avant d'essayer de comprendre les causes de cette mauvaise utilisation, revoyons le but de la gestion des versions.

Les versions sont issues d'un système qualité dont le but principal est de tracer les évolutions d'un logiciel. Cette version est nécessaire dès l'instant où le logiciel a une durée de vie conséquente. En effet, des corrections et des évolutions sont effectuées sur le logiciel de base ; Le nom du logiciel ne change pas pour autant. Ainsi, grâce à l'ajout du numéro de version au nom, il est facile de distinguer un logiciel depuis sa première version jusqu'à sa dernière. Cette trace est fondamentale, elle fixe la référence. En effet, si un utilisateur vous dit qu'il a trouvé un « bug » dans votre logiciel. Cela ne vous apportera rien tant que vous ne savez pas de quelle version il s'agit. Cela revient au même que de dire : j'ai un problème avec mon ordinateur sans indiquer quel logiciel est en question...

Ainsi, la gestion des versions n'a été créée que pour le créateur afin qu'il puisse s'y retrouver. Mais, avec le temps, les utilisateurs ont appris à interpréter ces numéros. En effet, le découpage numéros majeur/mineur de version permet de distinguer les évolutions importantes de celles plus « optionnelles ». Ce numéro de version prenant une signification pour les utilisateurs, il devient donc un élément marketing sur lequel il faut jouer. Aussi pour éviter d'offrir la transparence des numéros de version, Microsoft a décidé d'utiliser l'année de parution du logiciel. Certes ceci simplifie la vision de l'utilisateur mais cela a également deux impacts : L'utilisateur ne voit plus si une version est mineure par rapport à la précédente. Ainsi lors du passage de Windows 95 à Windows 98, les non informaticiens ont cru à une révolution mais, en fait, rien ne justifie la mise à jour de Windows 95 vers Windows 98. D'ailleurs, si vous prenez la peine de regarder le vrai numéro de version vous constaterez que Windows 95 porte la version 4.00.950 alors que Windows 98 porte la version 4.10.1998. Et oui, c'est une mise à jour mineure. Ceci dit, ne me faites pas dire que Windows 98 ne vaut rien : il est justifié pour les nouvelles machines.

D'autres exemples de l'utilisation marketing du numéro de version concernent des logiciels qui sautent subitement des numéros de versions : Word pour Windows qui passe de la V2 à la V6, C++ Builder qui saute la V2, ... Officiellement, il s'agit d'homogénéiser les numéros au sein de la gamme. Mais la réalité est que l'utilisateur amalgame les numéros de version et la puissance du logiciel. Or, nous savons bien que cela n'a rien à voir. Un logiciel en version 1.0 peut être de loin supérieur à un autre de version 10.0. Ce n'est qu'une histoire de numérotation.

Mais l'interprétation des numéros de version est réelle, alors aussi bien l'utiliser au mieux : Ce n'est pas toujours le cas. Ainsi dans le monde des logiciels libres ou des sharewares, les numéros de version n'exploitent pas toujours leur dimension marketing : Certains logiciels n'ont toujours pas atteint la version 1.0 alors qu'ils sont distribués et surtout qu'ils sont aussi stables que d'autres logiciels répandus dans le commerce. Voici quelques exemples de logiciels sous Linux aussi stables que des logiciels commerciaux sous Windows : lilo (0.21-15), licq (0.81-1), chbg (0.9pl1), ...

Je vois plusieurs raisons à cela :

  1. L'auteur à une idée en tête et tant que le logiciel n'intègre pas toutes les fonctionnalités voulues, sa version sera inférieure à 1.0.

  2. L'auteur ne gère absolument pas l'aspect psychologique d'un numéro de version : Dans l'esprit du commun des mortels, un logiciel de version inférieure à 1.0 n'est pas fini, donc pas stable. Ainsi les auteurs se privent d'un public important simplement à cause de cette numérotation.

Ces deux raisons sont discutables : Tout d'abord, l'idée globale que se fait l'auteur de son logiciel n'est pas fondamentale dans la numérotation. Un logiciel est fait pour évoluer et avoir une version 2.0 qui intègre d'autres fonctionnalités que la version 1.0 n'étonne personne. L'auteur, qui distribue un logiciel, le fait pratiquement toujours pour toucher le plus d'utilisateurs possible. Il est donc de son intérêt d'intégrer cette dimension psychologique.

Selon moi, un logiciel doit atteindre la version 1.0 dès que le logiciel est distribué en version stable, par opposition à une version en développement. La stabilité signifie que le logiciel ne plante pas, et non que le logiciel inclut toutes les fonctionnalités qu'il aura un jour. Ainsi, si tous les auteurs respectaient ce critère, de nombreux logiciels auraient déjà atteint la version 1.0. L'impact me semble important car cela valoriserait la plate-forme en question, c'est à dire majoritairement Linux, et ainsi la rendrait plus crédible aux yeux des utilisateurs moins « aventuriers ».

Cette règle n'est pas franchement une nouveauté, elle a cours pour tous les logiciels du commerce. En effet, avez-vous jamais vu un logiciel du commerce avec un numéro de version inférieur à 1.0 ? Bien sur que non. Dès l'instant où le logiciel est distribué par les canaux traditionnels, l'aspect marketing n'est surtout pas oublié. Alors un peu de professionnalisme, mesdames et messieurs les auteurs, n'ayez plus peur de dire que votre logiciel fonctionne!